Fiction / France

RIEN NI PERSONNE

Orphelin de naissance, Jean décide d’abandonner femme et enfant en croyant les protéger de sa double-vie délinquante, mais sa cavale va le ramener à la paternité qu’il fuyait.

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2023

Gallien GUIBERT

Gallien GUIBERT, Jean-Baptiste DELAFON, Clément TUFFREAU

Paul HAMY, Suliane BRAHIM, Françoise LEBRUN

1h21 – Couleur – Dolby Digital 5.1

28 février 2024

NOTE D'INTENTION

En 2019, on compte plus de 300 000 mineurs suivis par l’Aide Sociale à l’Enfance. 70% des jeunes ayant bénéficié d’un placement rejoignent la vie active sans diplôme. 40 % des Sans Domicile Fixes de moins de trente ans sont des anciens de l’ASE et survivent grâce à la délinquance. De 20 à 30% des anciens placés vivent dans l’isolement, sans liens amicaux ni familiaux. On y note par ailleurs une surreprésentation dans les études sur les troubles de la parentalité, maltraitances et abandons. Des chiffres à restituer dans l’absence de liens affectifs structurants, des lacunes et manquements des structures accompagnantes et des dérèglements psychologiques durables qui peuvent en résulter. L’histoire de Jean s’inscrit dans ces parcours chaotiques. Lui, se débat avec son destin, rejouant sans cesse son propre abandon. Injonction de la névrose abandonnique: faire du mal avant d’être blessé, trahir avant d’être trahi, quitter avant d’être abandonné. Anti-héros romantique, il crie notre besoin de se réparer. Cette quête impossible, c’est celle de sa propre parentalité qui cogne à ses blessures. Une problématique qui nous atteint toutes et tous à un moment ou un autre. Un mur parfois infranchissable pour celles et ceux qui n’ont jamais pu, ou voulu se soigner et qui se confrontent toujours et encore au même vide existentiel. Centré sur les tourments de son personnage principal, Rien ni personne pourrait être vu comme un pur film noir: existentialisme, point de vue unique, portrait des marges, forme rapide. Un “small movie” qui ne s’en laisse pas conter, et tente dans son imparfaite vitalité de tisser l’émotion et décliner le genre, entre naturalisme et thriller graphique.

BIOGRAPHIE DU RÉALISATEUR

Auteur et réalisateur, Gallien Guibert est reconnu comme l’un des défricheurs des nouvelles écritures interactives en France, notamment au sein de la société IO Interactifs qu’il cofonde et qui rejoint le groupe Dupuis en 1998. Il y développe des bibles de séries de genre: aventure historique, fantastique, anticipation, horreur. En 2002, il signe avec Guy Peellaert l’adaptation animée de la bande-dessinée culte, Pravda la Survireuse. Une odyssée post-apocalyptique pop, dont le pilote est projeté pour la première fois à l’espace Céline à Tokyo, puis à Berne, Milan, Varsovie, ainsi que lors de la rétrospective pop Sexties sur la révolution sexuelle de la bande dessinée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Son deuxième court-métrage Lune Noire, film fantastique dans l’esprit productions Hammer, interprété par Dominique Collignon-Maurin et Oxmo Puccino, est présenté pour la première fois en 2014 en sélection officielle au PIFFF (Paris International Fantastic Film Festival) et chroniqué dans le magazine Mad Movies. Son premier long-métrage, Rien ni personne, un film noir sur la problématique du syndrome d’abandon avec Paul Hamy, Suliane Brahim et Françoise Lebrun sortira le28 février 2024 en salle.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Quel était le point de départ de Rien ni personne?

 

Je vivais à l’époque une parentalité complexe, quasi dysfonctionnelle, et il y avait quelque chose à l’intérieur de moi qui supportait mal cette nouveauté dans ma vie. Nous échangions régulièrement avec un ami très cher sur nos difficultés à revivre notre histoire au travers de nos propres enfants. Lui, avait échappé par miracle au placement en foyer après un drame familial. Je me suis alors intéressé à ce type de dérèglement. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en France, on trouve une surreprésentation d’enfants placés dans les chiffres de la délinquance. Près de la moitié des SDF de moins de 30 ans sont des anciens de l’ASE et parmi eux, une écrasante majorité souffre de troubles graves de la parentalité: maltraitance, abandon, etc. L’histoire de Jean raconte l’un de ces parcours déglingués sans pour autant entrer dans la dimension sociétale pure et dure car je voulais travailler la confusion et l’irréalité de ce phénomène. En restant abstrait, en évitant le naturalisme et la psychologie.

 

Le personnage de Jean est un être qui fuit, qui abandonne, et dont on sent qu’il a lui-même été abandonné..

 

Absolument. C’est vraiment un cas clinique, un pur syndrome abandonnique. C’est-à-dire que l’abandonné devient lui-même abandonnant. Tout en voulant échapper à son traumatisme, l’abandonnique recrée encore et encore les conditions de cet abandon sur plusieurs strates comportementales: fuir avant d’être abandonné, faire du mal avant d’être blessé, etc. S’agissant de Jean, je disais souvent en préparant le film que c’est un type qui n’a pas eu le temps, ou l’espace, ou la chance, de travailler sur lui-même. Il ne s’est pas soigné et reste prisonnier de sa névrose. C’est cette question névrotique qui nous amène au genre. En travaillant sur lefilm, je me suis dit peu à peu que nous avions là un pur film noir, autrement dit la description des rapports entre un type et sa névrose dans un monde déformé par son regard.

 

En termes de narration, ce qui est passionnant, c’est la décision de Jean qui intervient très en amont dans le récit et qui, en général, se produit bien plus tard…

 

Oui, il s’agit là d’un travail plus formel sur les codes du genre. Ilyavait l’idée de ne pas attendre le fameux élément déclencheur, de partir immédiatement dans la narration. C’est en travaillant sur ce début, assez difficile à mettre en place, qu’on a trouvé la forme très ramassée du film, sans réelle motivation psychologique et sans la séquence classique d’humanisation. Comme il s’agit d’un personnage quasi psychotique, qui déclenche peu d’empathie, on a décidé avec le monteur de ne pas chercher à le rendre sympathique dans l’installation: c’est la pleine trajectoire du film qui va – je l’espère – procurer au spectateur un sentiment de l’ordre de l’empathie, mais pour cela il faut parvenir à son terme. Par conséquent, le film s’ouvre sur des plans stroboscopiques de la course éperdue de Jean, qui disent exactement ce que le film va être: la fuite en avant d’un personnage dont on ne sait rien.

 

Avec Valérie, la navigatrice, Jean rencontre une autre cabossée de la vie – elle aussi a coulé, puis s’est relevée tant bien que mal.

 

Elle lui offre un miroir tout à fait positif puisqu’elle est tombée et qu’elle lui fait comprendre que ce n’est pas si grave, alors que lui est totalement noyé! On sent néanmoins qu’elle a la trouille de reprendre la mer. Elle est une sorte de femme fatale qui n’en est pas vraiment une. Mais je trouve qu’elle occupe cette fonction dubfilm noir: une âme sœur qui n’en est pas une, une femme qui pourrait l’aider mais qui pourrait tout aussi bien être fatale. On a beaucoup tourné autour de cette notion à l’écriture: dans certaines versions du scénario, elle lui volait son fric. L’idée qu’elle réussisse à l’emmener nous semblait suffisante. Elle se sert de lui pour reprendre la mer. Avec sa femme et sa mère, elle est une des trois voix dufilm, c’est comme un chœur. C’est le chant des femmes de Jean et le dernier regard sur lui. Elle est plus forte que les autres. C’est la dernière, la survivante.

 

Le film est très ramassé, tendu comme un arc, et dure moins d’1h20. Comment avez-vous orchestré le rythme et les ellipses ?

 

C’est vraiment avec Arthur Guibert au montage que l’écriture du film et son rythme se sont mis en place. On a coupé beaucoup de choses et on a trouvé la clé à partir du moment où le film s’est concentré sur Jean. On a compris que lui seul comptait, que seule son histoire avait de l’importance – son regard et son pouls. Dès lors, le récit est parti comme une balle, comme un film éclair, avec des blocs insubmersibles de narration qu’on a identifiés et des ellipses fortes, brutales, très cut. D’où cette tension assez âpre, avec ces blocs qui se répondent, ce qui participe à la mise en apnée du film. L’espace de Monique répond à celui de Valérie, tout comme la station-service fait écho à l’espace de la junkie à Saint-Nazaire, etc. Une sorte de construction en miroir. C’est dans la répétition que quelque chose se transforme, jusqu’au dénouement qui se détend enfin et que je voulais ambigu: dans cet instant suspendu, est-ce qu’on condamne le personnage ou lui laisse-t-on une chance? Est-il vraiment en vie ou l’épilogue n’est-il qu’un rêve ?

 

La séquence du feu de détresse est quasi apocalyptique, basculant presque dans un climat fantastique.

 

Cela nous ramène à la forme du film : je voulais sortir du naturalisme et aller vers un pur objet cinématographique, très sonore et très coloré, avec des lumières irréelles, à mi-chemin entre Giallo et film expressionniste. Je répétais souvent à la chef-opératrice qu’on faisait un film noir «en couleurs »! De cette volonté est née l’idée du feu de détresse pour le règlement de compte final, qui nous emmène vers quelque chose d’infernal. La chorégraphie était très réglée, mais on a décidé de laisser la fumée envahir la scène pour que tout soit obscur. On a aussi essayé de trouver une sorte «d’action floue» au montage pour arriver à une séquence fantomatique. Mais généralement, Rien ni personne est aussi un film de fantômes: c’est l’histoire d’un type poursuivi par ses spectres qui continue de voir tout le monde mourir autour de lui. On le voit avec l’apparition de sa femme, ses flashbacks de l’enfance, etc. Françoise [Lebrun] me disait sans cesse «Tout ça est un cauchemar et il va se réveiller à la fin.»

 

Comment s’est passé le casting?

 

Le film a été écrit pour Paul [Hamy]. J’ai toujours trouvé qu’il avait encore en lui cette part d’enfance, de douceur, qui ferait du personnage quelqu’un de touchant malgré la dureté de son parcours dans le film. Pour le convaincre d’un tel rôle, nous avons beaucoup échangé. On s’est vus régulièrement pendant une année pour tenter des choses et réécrire son texte. Le personnage est une création commune. Dans le sens du film, c’est une méthode que j’ai appliquée à toutes et tous. Chacune et chacun a pu participer au texte du tournage. C’était d’autant plus important qu’on voulait faire un film de peu de mots.J’ai rencontré Françoise [Lebrun] aussi très en amont. Elle a beaucoup aimé le scénario, ce que j’avais du mal à croire! Elle a accepté avec bienveillance d’être déplacée – et malmenée! – dans un genre qu’elle n’avait jamais abordé et je l’en remercie encore. Pour moi, c’est vraiment une légende. C’était très beau de confronter Paul, un acteur un peu sauvage, à une sorte de mythe qui représente un tout autre cinéma. Suliane [Brahim] est arrivée plus tard sur le projet après une longue conversation sur les structures de déplacement, le destin de ces enfants orphelins ou séparés de leurs parents. Quelque chose la touchait et elle nous a fait le cadeau d’accepter le rôle de Valérie. Ce qui est formidable chez elle, c’est la très haute technicité de son jeu et son engagement, sa sincérité. C’est vraiment passionnant de la voir s’emparer d’un texte. On a commencé le tournage par la fin, ce qui était un cauchemar total! Mais quand elle est arrivée sur le plateau, elle a transcendé ses scènes. Avec Paul et l’équipe, on s’est dit «on sait maintenant où on doit arriver.» Cela a guidé Paul sur son rôle car les grandes étapes émotionnelles de son personnage ont été traversées avec Suliane cette première semaine. Elle nous a tous mis sur les rails du film. On a aussi beaucoup travaillé en casting sauvage, avec des comédiens amateurs. Par exemple, l’un des deux voyous de Saint-Nazaire est un docker et les jeunes qu’on croise vers la discothèque sont des amateurs. On a passé un temps fou à repérer des gens localement et c’était d’autant plus important qu’il y avait une question de« réel» Nazairien qui nous tenait à cœur

 

Où avez-vous tourné?

 

Mon producteur, qui est implanté dans les Pays de la Loire, a obtenu le soutien de la région. Je trouvais passionnant detourner un film noir àun endroit où on a peu l’habitude delevoir sedéployer. On a fait une vraie rencontre avec un décor, celui de Saint-Nazaire. Tout en étant en région, on avait la volonté d’éviter la carte postale. D’où le fait d’avoir le moins d’establishing possible. J’aime l’idée de traverser des décors sans vraiment savoir où on est: on a la sensation d’être dans une ville portuaire, assez rugueuse, assez rude, sans pouvoir l’identifier. La maison de Monique, sur une falaise, apparaît totalement comme un décor de théâtre. De même, le port de Valérie pourrait se situer n’importe où, bien qu’on reconnaisse un paysage maritime de l’ouest de la France. Cette abstraction des décors rejoint la volonté d’irréalité.

 

Qu’avez-vous voulu pour la musique ?

 

Avec Camille Delafon, la compositrice du film, on avait peur que le film soit trop sec et j’avais donc envie d’une partition un peu lyrique, susceptible de véhiculer une émotion de scène en scène, à un endroit où je pensais que le film était trop brutal. On voulait exprimer le chant intérieur du personnage et, dans le même temps, on avait besoin d’une musique qui soutienne l’action. Je crois qu’on est à mi-chemin entre les deux, en électro acoustique, entre des nappes tendues, un violoncelle lointain comme des souvenirs, et un thème au piano qui raconte la détresse intérieure de Jean, son déracinement depuis l’enfance, quelque chose d’enfantin, comme une comptine abîmée.

Propos recueillis par Franck Garbarz

LISTE TECHNIQUE

Réalisation : Gallien Guibert
Directrice de la photographie : Raphaëlle Gosse Gardet
Mixage : Vincent Pataud
Monteur son : Armin Reiland
Musique : Camille Delafon
Producteur : Olivier Berne

CE QU'EN DIT LA PRESSE

LA SEPTIÈME OBSESSION

Porté par des acteurs percutants (Paul Hamy, Françoise Lebrun, Suliane Brahim…), ce premier long-métrage novateur, sombre, prend aux tripes. A découvrir d’urgence.

 

CAHIERS DU CINÉMA

Du coup, on y croit, on se laisse embarquer. Ce n’est pas si courant.

 

OUEST FRANCE

Un thriller noir haletant.

 

POSITIF

La réussite du film est d’entretenir sur la durée et à l’abri d’un lyrisme convenu des sentiments vacillants, à peine formés, attisés in extremis par les événements, et de laisser Jean et son couffin sur le seuil d’un amour plus franc.

 

PREMIÈRE

Et parce qu’il ne dépasse pas une heure vingt, Rien ni personne ne s’étale jamais sur son scénario et ne garde que l’essentiel : une histoire efficace qui ne cherche pas être novatrice, une photographie vibrante et des personnages charismatiques. Une réussite instantanée.