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Documentaire / Madagascar, France

SITABAOMBA, CHEZ LES ZÉBUS FRANCOPHONES

Ly est l’un des derniers paysans orateurs de la capitale de Madagascar. Sa vie bascule en 2016 quand des spéculateurs aux bras longs se mettent à convoiter les terres qu’il cultive. Tel un œuf qui se dispute avec un galet, Ly et ses amis paysans luttent tandis que leurs enfants et des marionnettes à l’humour taquin content l’histoire des grands !

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE REPRISE

2023

Lova NANTENAINA

Lova Nantenaina, Eva Lova-Bely

Claudia Tagbo

1h43 – Couleur – Dolby Digital 5.1

23 Octobre 2024

INTENTION DU RÉALISATEUR

Mon défi est de permettre au spectateur de s’arracher du regard occidental (pourquoi “s’arracher du regard occidental” : si l’ambition est de faire circuler le film partout et auprès des malgaches et de la diaspora? Ont ils un regard occidental?) et retranscrire, dans la forme même du film, la tournure de pensée de mes compatriotes et de mes ancêtres. Mon film est construit en référence au «kabary», leur art oratoire poétique et cocasse, leur lecture du réel baroque et métaphorique, fruit de l’observation de la Nature et des Humains… qui prend sens à la fin

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir cinéaste documentariste ?

Je crois que j’avais un besoin de proposer mon regard, celui d’un Malgache qui est allé au-delà des mers et qui a vu que les jeunes pousses de riz ne sont pas forcément plus vertes ailleurs. Il y a une dizaine d’années, en France, j’ai lu une pancarte sur le dos d’un militant disant : « il n’y a pas de quoi être fier d’être bien intégré dans un monde malade ». J’ai pensé alors que mes films se devaient de raconter comment les Malgaches s’épuisent à s’adapter à cette modernité malsaine.

 

Comment est venu le désir de filmer cette famille et leur village, Sitabaomba (Site à bombes) ?

Tout a commencé en mai 2016 quand on m’a suggéré de faire un film drôle sur les dysfonctionnements autour de la mise en place du Sommet de La Francophonie. J’ai été attiré par un article de journal qui racontait comment des paysans manifestaient contre l’accaparement de leurs rizières pour la construction d’une route en vue du Sommet de la Francophonie. Je suis allé à la rencontre des responsables de l’association en lutte et quelle ne fût pas ma surprise en reconnaissant Ly parmi les victimes ! J’avais filmé Ly et son petit dernier en 2007 pour mon premier court-métrage documentaire.

 

Pourquoi cet intérêt pour le Sommet de La Francophonie de 2016 ?

C’est le slogan du Sommet « Croissance partagée et développement responsable » qui m’a fait sourire pour son décalage avec le réel, notamment quand on a en tête Page 5 ce projet présidentiel de Hery Rajaonarimampianina qui conduit à faire perdre leur travail indépendant à de nombreux paysans. Il me semble qu’on oublie trop souvent que l’agriculture paysanne est source de richesses pour le pays, la production n’est pas l’apanage des investisseurs privés nationaux ou internationaux.

 

Cette route n’a-t-elle pas été utile ? Vous semblez prendre parti pour la paysannerie et contre le développement urbain ?

La route est utile à beaucoup de Tananariviens mais elle rend la plaine de rizières tout autour très attractive au détriment des paysans. On n’a pas voulu d’un film qui nie la complexité du réel, d’un film manichéen qui opposerait systématiquement la sagesse traditionnelle à la modernité, ou le bonheur de la vie à la campagne à l’agressivité de la ville. Le débat que je cherche à susciter se situe ailleurs. Cela ne me semble pas acceptable que les décisions soient prises en haut lieu et imposées à la population sans la moindre concertation, comme si nous n’étions que des marionnettes. Cette situation, on la retrouve partout à la différence qu’à Madagascar beaucoup d’intellectuels, de dirigeants et d’étrangers, avec de bonnes ou de mauvaises intentions, arrivent à imposer leurs intérêts plus facilement parce qu’ils sous-entendent que critiquer leurs projets reviendrait à critiquer la volonté de sortir le pays de la pauvreté. Le peuple n’a qu’à dire « merci » de leur trouver des investisseurs même si cela amène à déposséder quelques pauvres paysans de leurs terres. Pour certains bien-pensants, les paysans devraient abandonner leur métier indépendant pour devenir salariés agricoles pour des sociétés d’agrobusiness ou s’exiler à la ville. Mais quel paysan rêve de travailler comme un esclave ou de vivre dans un bidonville car c’est bien ce qui l’attend si les ressources du pays sont pillées.

 

“Piller” est un terme fort, non ?

Oui mais, on a des raisons de craindre le pillage de nos terres et de nos mers. Les situations d’accaparement par des nationaux ou des étrangers rappellent forcément toutes les invasions et colonisations que l’Histoire a connu. Il est très fréquent que les paysans se retrouvent dans un combat inégal avec ceux qui affirment avoir acheté des titres à l’État alors qu’eux vivent là de générations en générations depuis des millénaires parfois.

 

En Europe, ce procédé de spoliation n’est pas autorisé par la loi ?

Mais il l’a été autrefois. Les Européens ont vécu ce que nous vivons aujourd’hui. L’anthropologue Philippe Descola explique que le mécanisme du système capitaliste se nourrit depuis le Moyen-âge de l’accaparement. Cela a débuté par la privatisation des champs et la création d’enclos pour empêcher un libre pâturage des moutons en Grande-Bretagne.

 

Faites-vous un lien entre la France et ce problème d’accaparement de terres paysannes à Madagascar ?

Je crains que ce que l’on vit à Madagascar se généralise partout car l’Afrique est bien souvent le laboratoire du pire, l’endroit où l’on teste ce qui peut être généralisé ou pas. Et puis, il n’est pas difficile d’imaginer que des paysans sans terres et donc sans attaches à leur pays chercheront à fuir et gonfleront les statistiques de l’immigration clandestine en France, notamment à Mayotte ou La Réunion. Du côté des Français, il y a aussi ce sentiment de culpabilité en regardant sur leur petit écran les enfants qui meurent de faim suite au manque d’autonomie alimentaire. Avec les nombreuses situations d’accaparement dans tout le pays, nous prenons le risque de perdre nos terres, nos paysans et leurs âmes pour profiter d’un développement qui n’est pas au rendez-vous.

 

Comment se fait-il qu’il nous arrive pourtant de sourire en regardant ce film qui traite d’un tel sujet ?

Avec Eva, ma coautrice, nous aurions pu en effet écrire un film plombant, si je peux le dire ainsi, un film qui se contente de documenter les mésaventures d’une famille paysanne. Mais nous sommes partis sur l’idée d’un film ironique, un peu grinçant et on a essayé de s’y tenir en restant fidèle à un certain humour malgache qui est le signe distinctif d’un bon orateur. D’ailleurs, dans notre langue, pour exprimer le désespoir face aux situations aberrantes et tristes qu’on rencontre au quotidien, nous avons coutume de dire « mampihomehy » qu’on peut traduire littéralement par « ça fait bien rire ». Rire de l’injustice plutôt que pleurer, c’est une forme de pudeur, et résister plutôt que s’apitoyer, c’est une forme de courage. Pudiques, courageux et parfois drôles aussi, c’est comme ça que je perçois les membres de la famille de Ly, les dirigeants de l’association, les enfants du village et les artistes que j’ai filmés.

 

C’est en effet un film qui met en scène des enfants qui montent un spectacle de marionnettes…

Oui et c’est ce qui en fait une histoire moins dure qui s’adresse presque à tous les âges avec différents niveaux de lecture. À la sortie des premières projections, des Malgaches de la diaspora sont venus en famille. Cela m’a fait très plaisir.

 

Au sujet des artistes, c’est vous qui les avez choisis et amenés à Sitabaomba ?

Oui, j’aime dans mes films faire appel à des artistes pour porter ma parole. Un Malgache se doit de demander à un orateur de parler à sa place pour convaincre mieux qu’il l’aurait fait lui-même. Je suis fier de pouvoir dire que les artistes choisis pour mettre en place les ateliers de marionnettes dans ce village sont de grands artistes, un très beau casting. Gégé Rasamoely est sans doute le plus célèbre des comédiens malgaches pour avoir réussi à mener sa carrière du théâtre radiophonique au cinéma. Il joue dans de nombreux films très populaires de type Nollywood. Il a joué aussi dans des courts-métrages, et notamment dans “Wrong Connexion” de Ando Raminoson et Colin Dupré dont j’ai mis des extraits dans ce film.

Quant à Temandrota, il est reconnu internationalement comme l’un des plus grands artistes plasticiens malgaches et il m’a fait la surprise de me proposer une installation le jour de la représentation du spectacle.

J’ai demandé aussi à Bekoto de Mahaleo de donner son expertise de sociologue engagé depuis de longues années dans la cause paysanne. Enfin, bien qu’ils n’apparaissent pas à l’écran, les comédiens de la compagnie Miangaly ont joué les voix des différentes marionnettes.

Cette compagnie a été créée par Christiane Ramanantsoa qui joue le rôle de la reine qui part à la recherche d’une nouvelle âme. Gad Bensalem, comédien et slameur, joue le rôle d’un investisseur et Fela Razafiarison celui d’une victime de la mode !

 

Il y a aussi la voix de la comédienne franco-ivoirienne Claudia Tagbo, pourquoi ce choix dans un documentaire malgache ?

Nous avons tenu à ajouter à ce film la voix d’une oratrice conteuse qui s’adresse aux spectateurs dans un style inspiré de l’art oratoire malgache, le kabary. Cette intention de faire un film qui s’inspire, dans sa forme même, de cet art oratoire paysan était présente depuis le début du projet. Le kabary est un discours argumenté et métaphorique qui cherche à faire sourire ou réfléchir les spectateurs pour mieux les convaincre. Le kabary, c’est des images et du son comme le cinéma.

Nous avons choisi la voix de Claudia Tagbo pour la belle énergie de son interprétation… et pour donner une dimension panafricaine à laquelle je tiens beaucoup. Le kabary, ce n’est pas un art traditionnel figé, les proverbes sont encore utilisés aujourd’hui et évoluent avec la vie des gens, l’oralité est synonyme pour moi de liberté de ton que Claudia incarne parfaitement.

 

Pourquoi faire le choix d’intégrer au cinéma du réel d’autres arts comme la musique, le théâtre d’objet, l’animation et même la fiction ?

La musique est toujours importante dans mes films car elle est importante dans la vie de la plupart des Malgaches, tant pour la poésie et les messages des textes que pour les émotions très variées qu’elle peut susciter. Avec Eva, nous aimions l’idée de surprendre en montrant que la musique malgache c’est aussi bien du rap et du métal que des musiques de fête ou des musiques a capella.

Pour les marionnettes, il y a d’abord une volonté de montrer la richesse de l’imaginaire des enfants qui font du « tantara », ce jeu traditionnel où des cailloux représentent des personnes et se mettent à parler.

Dans la tête des enfants spectateurs, il y a tout un univers onirique qui se déploie. Pour s’en rapprocher, j’ai voulu animer les cailloux customisés lors des ateliers de Temandrota. C’est Herizo Ramilijaonina, animateur malgache, qui a animé les œuvres de Temandrota pour donner un réalisme à une séquence où Eva et moi, nous nous sommes amusés à imaginer une réunion des plus puissants du pays !

Quant au court-métrage « Wrong connection » autoproduit par Ando Raminoson et Colin Dupré, c’est un film parodique des films américains qui prouve que les Malgaches savent faire beaucoup avec peu, même dans l’industrie du cinéma.

 

 

FICHE TECHNIQUE

Scénario Nantenaina LOVA et Eva LOVA-BÉLY

Réalisation Nantenaina LOVA

Artiste plasticien, concepteur des marionnettes Randriahasandratra RAZAFIMANDIMBY (TEMANDROTA)

Voix narratrice / oratrice Claudia Tagbo

Voix marionnettes Gégé RASAMOELY, Christiane RAMANANTSOA, GAD Bensalem, TEMANDROTA, Fela RAZAFIARISON, Nathalie Marie Jeanne RASON

Production déléguée Eva LOVA-BÉLY, Nantenaina LOVA

Coproduction Nicole GERHARDS (Niko Film), Michel K. ZONGO (Diam Production)

Direction de production Candy RADIFERA, Nina FERNANDEZ

Animation Herizo RAMILIJAONA (BASHY)

Dessin Eric ANDRIANTSIALONINA (DWA)

Images Nantenaina LOVA, Nantenaina FIFALIANA

Prise de son Nantenaina FIFALIANA, Jonathan Narlysh RAFIDIARISON

Montage image Nantenaina LOVA, Emmanuel ROY

Expertise écriture et montage Jean-Michel PEREZ ALBANO, Guillaume BEGUE

Étalonnage Sylvain LANGE – Charbon Studio (Atelier Takmil – JCC)

Montage son Julien VERSTRAETE

Mixage Christopher MAC DONALD – MDC PROD, Julien VERSTRAETE

CE QU'EN DIT LA PRESSE

LES FICHES DU CINÉMA

Ce véritable documentaire de création articule une réflexion baroque et grinçante sur l’héritage post-colonial.

 

LIBÉRATION

Critique radicale des puissants, le beau et rare docu de Lova Nantenaina suit pendant des années les combats perdus d’avance d’un village malgache.

 

TÉLÉRAMA

Le développement économique de l’île de Madagascar implique-t-il que de modestes paysans perdent leurs rizières, pour que les remplacent infrastructures routières et commerciales ? Sur cette question, le réalisateur malgache Nantenaina Lova signe un documentaire modeste mais pétri d’humanité, porté par un commentaire teinté d’humour dit par l’actrice franco-ivoirienne Claudia Tagbo.