Fiction / Grèce

THE SUMMER WITH CARMEN

Démos, un grec ténébreux à la sexualité débordante, passe son été sur les plages d’Athènes avec son ami de longue date, Nikitas.

 

Ensemble, ils tentent d’écrire un scénario inspiré de leur vie tumultueuse, surtout celle du beau Démos, au cœur écorché par sa dernière rupture…

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2023

Zacharias MAVROEIDIS

Zacharias MAVROEIDIS et Xenofon CHALATSIS

Yorgos TSIANTOULAS, Andreas LAMPROPOULOS, Nikolas MIHAS

1h46 – Couleur – Dolby Digital 5.1

19 juin 2024

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

The Summer with Carmen traite d’une amitié entre deux hommes gays. Les amitiés homosexuelles vous semblent-t-elles plus complexes que les autres ?

 

Oh oui ! Et on ne leur donne pas au cinéma les histoires qu’elles méritent. Car si ces amitiés ont les mêmes « ingrédients » qu’une camaraderie entre hétéros (comme la compétition ou la complicité), les homos peuvent, eux, avoir été des amants, ou le devenir tôt ou tard. Il y a cette éventualité à gérer. D’ailleurs, les amitiés homos se créent souvent suite à des dates ratés ou des relations. Et puis, il y a quelque chose qui relève de la relation familiale dans l’amitié gay, surtout pour ceux qui cherchent à se libérer du carcan de leur propre famille. C’est pourquoi j’ai senti la nécessité d’écrire une histoire mettant à l’honneur ces amitiés-là, et je n’ai pas eu de meilleur co-scénariste pour le faire que mon propre meilleur ami, Xenofon Chalatsis.

 

Le choix de Yorgos Tsiantoulas et Andreas Lampropoulos a-t-il été évident pour incarner ces deux amis ?

 

Le choix s’est fait assez vite. Il y a eu une vraie alchimie entre eux : ils allaient bien ensemble, et ne semblaient pas former un couple pour autant. Je voulais éviter une ambiguïté, et je pense que leurs morphologies et attitudes très différentes ont permis ça, d’autant qu’elles correspondaient à mon envie de représenter différents types d’homosexuels. Pendant longtemps, les gays ont été montrés efféminés, puis hyper virils (comme pour équilibrer avec les représentations précédentes, assez homophobes). Aujourd’hui, nous sommes à une époque où on peut être fier d’être efféminé, et ne pas avoir peur de le représenter. Yorgos et Andreas avaient donc des masculinités différentes qui m’ont plu, et on a travaillé pendant presque un an ensuite, souvent au fil de sessions de travail où chacun d’entre eux étaient pris séparément. J’ai réécrit une partie du scénario en m’accordant à leurs personnalités, on a fait pas mal d’improvisations pour ça.

 

L’intrigue se centre pourtant sur une histoire d’amour : celle de Demosthenes avec son ex, Panos. Carmen est la chienne que ce dernier passe à Demosthenes. Que symbolise ce chien ?

 

Ce chien, c’est comme une monnaie, un moyen d’échange : celui qui a le plus besoin d’amour est celui qui a Carmen. Le film est comme une compilation d’histoires d’amour : il y a celle une avec l’ex, bien sûr, mais aussi celle avec le meilleur ami, celle avec la mère et celle avec la chienne. C’est pourquoi le titre du film pourrait être L’été où chacun a cherché plus d’amour…

 

Peu d’amour circule en tout cas dans la famille de Demosthenes, sa mère est mal-aimante, et son père homophobe. Six messages égrènent explicitement le film, le septième pourrait-il être que la vraie famille est celle que l’on se crée, grâce aux amis et aux amants ?

 

Absolument ! Toute l’histoire tend vers ce message. Mais la mère de Demosthenes n’aurait pas été une meilleure mère si son fils avait été une fille, ou s’il avait été hétéro. Demosthenes fait à tort le lien entre ce manque d’amour et son orientation sexuelle. Beaucoup de queer ont tendance à interpréter trop systématiquement chaque point de vue négatif à leur endroit comme une réaction à leur identité. Or, ce n’est pas toujours le cas.

 

L’intrigue de The Summer with Carmen n’est faite que d’événements du quotidien. En cela, on pense à des cinéastes comme Woody Allen, Eric Rohmer ou Hong-Sang-Soo. Ont-ils été une inspiration pour vous ?

 

J’ai des points communs avec ces réalisateurs, c’est vrai. Comme eux, je vois le quotidien comme une matière, un outil avec lequel construire une dramaturgie, car en analysant ce qui nous arrive chaque jour, on peut y trouver des nuances dont on ne se doute pas. Toutefois, je me sens moins inspiré par ces cinéastes que par les frères Cohen, Pedro Almodovar ou Roy Andersson. Bien qu’ayant des univers très différents, ces réalisateurs partagent un vrai sens de l’humanité dans la façon dont ils construisent leurs histoires et leurs personnages, associant le mélodrame au sarcasme, et montrant les défauts de leurs personnages tout en restant de leur côté.

 

La nudité est omniprésente dans le film, surtout sur cette plage gay naturiste, Limanakia, filmée comme un décor grandiose. C’est un hommage aux lieux de drague gay ?

 

Oui, à ces lieux importants et sûrs pour la communauté queer. On ne les voit pas souvent au cinéma, et lorsqu’on les voit, ils sont montrés comme des lieux de luxure, d’érotisme, parfois même de danger. Pourtant, ils sont plus que ça. Ce sont des endroits où tout le spectre de la communauté queer peut se rencontrer et s’exprimer dans une sorte de micro-société de courte durée. On y flirte, on médite, on retrouve de vieux amis, on fait l’amour ou bien… on écrit un scénario !

 

Vous montrez aussi une Athènes très colorée, et plutôt inclusive envers les LGBTQI.

 

La Grèce a avancé sur le plan des luttes LGBTQI ! La légalisation du mariage homo et de l’adoption semble même dans les tuyaux. Mais il y a aussi, comme dans beaucoup de pays, une remontée actuelle de l’homophobie face à une communauté queer plus visible. Pour ce qui est des couleurs, le film a deux temps de narration : le présent, sur la plage de Limanakia, où les couleurs sont très minimales. Et le temps du passé, dans le centre-ville d’Athènes, où avec Aliki Kouvaka, le décorateur, et Theo Mihopooulos, le chef opérateur, nous avons décidé de mettre autant de couleurs que possible pour contraster avec la période présente. J’ai une formation en architecture donc j’utilise aussi l’espace de manière narrative. Ici, j’ai fait un lien entre le centre-ville et le décor naturel de Limanakia : à Athènes, toutes les scènes extérieures sont filmées dans des escaliers de la ville. Les personnages montent et descendent constamment des marches dans le passé, alors que ce sont des rochers qu’ils grimpent et descendent dans le présent.

 

Pour ce qui est de la forme justement, il y a un film dans le film, et des règles de scénarios données aux spectateurs. Cette dimension « méta » était-elle au cœur du projet dès le début ?

 

Dans la première version du film, l’histoire contenait juste une introduction et un épilogue sur la plage. Tout le reste était un grand flashback de l’été deux ans plus tôt. Mais nous avons jugé plus intéressant d’entrecouper les événements passés par des observations et des débats entre les deux amis. C’est ce qui donne à l’histoire une dimension philosophique, et ce qui révèle de l’importance de la narration dans notre quotidien. Car ce qui nous arrive peut être tragique, triste ou joyeux, tout ceci n’a pas de sens en soi. C’est la façon dont on se fait le récit des événements qui compte. La narration est une forme d’interprétation, d’évaluation, une façon de transformer ce qui nous arrive.

 

Nikitas voue un culte à Xavier Dolan. Il compare sa réussite à ses galères. Les thèmes du succès et de l’échec étaient déjà présents dans votre film Defunct (2019), est-ce une question majeure pour vous ? 

 

Ça l’a été ! Lorsque j’en étais au point de Nikitas, en 2010, et que je galérais à faire mon premier long-métrage (The Guide). Il m’a fallu surmonter pas mal de choses pour arriver à faire d’autres films après celui-là, surtout en pleine crise économique en Grèce. Et puis, au fil du temps, le soucis du succès s’est transformé en soucis de continuer à faire ce métier coûte que coûte, qu’elle que soit le résultat. J’ai vraiment un besoin de raconter des histoires, c’est pourquoi j’ai écrit un roman après mon premier film, car j’étais endetté et écrire était une manière d’assouvir ce besoin sans se soucier d’un budget à respecter. Mon roman parle de chats errants sur des îles grecques et j’espère en faire mon prochain projet de cinéma, en l’adaptant en film d’animation !

 

Nikitas se plaint de ne pas décrocher beaucoup de rôles parce qu’il serait trop « gay ». Pensez-vous que le cinéma est encore une industrie homophobe ?

 

Il y a de l’homophobie dans la société, il y en a donc forcément dans le cinéma. Cet art n’est pas déconnecté du monde en ce sens, et c’est vraiment triste de se rendre compte qu’être ouvertement gay dans ce milieu signifie moins de propositions pour les acteurs. Mais je pense que c’est une question de génération, on est encore dans une époque où ceux qui ont le pouvoir dans l’industrie cinématographique proviennent d’une génération où le sexisme et l’homophobie étaient partout et ne faisaient face à aucune résistance. Il est temps de changer les choses !

 

En ce qui concerne la musique, vous avez à la fois placé de la musique baroque bourgeoise et de la musique populaire grecque, du rebétiko, pourquoi ce mélange ? 

 

L’idée m’est venue en me rendant compte, avec Ted Regklis, le compositeur, que le son du bouzouki (instrument de musique grec) est assez proche du son du clavecin, instrument typique de la musique baroque. Cette dernière est une musique flamboyante, queer, tandis que le rebétiko est son opposé total, associée à la pauvreté et à la virilité. C’est une sorte d’allégorie de la communauté LGBTQI car être queer implique souvent de traverser des frontières et des structures sociales, comme c’est le cas sur un lieu de drague ! Parmi les autres messages du film, il y a celui-ci : « la connaissance de soi est une illusion ». Que voulez-vous dire par là ? On tend à croire que se connaître soi-même est une grande vertu. Et on peut passer beaucoup de temps et d’effort à tenter de déterminer qui nous sommes, ce que l’on souhaite, ce dont on a besoin. Mais je crois profondément que l’on ne peut que saisir une infime portion de notre identité en faisant ça. Les gens tentent de se faire une idée de qui ils sont parce qu’ils en ressentent le besoin, ça apaise et ça aide de croire que l’on sait qui on est, ça permet de ne pas douter de ses attitudes, de ses relations et de ses désirs. Mais la connaissance de soi peut devenir une illusion en ce sens, car nos identités sont bien plus fluides et ouvertes à modifications que ce que l’on pense.

BIOGRAPHIE DU RÉALISATEUR

Zacharias Mavroeidis a étudié l’architecture à Thessalonique, le théâtre à Madrid, l’écriture de scénarios à Cuba et la réalisation à Athènes. Il est diplômé de Berlinale et de Sarajevo Talents. Son premier long métrage, The Guide, a été projeté à Thessalonique IFF et dans des festivals de films LGBTQ+ du monde entier. Son deuxième long métrage, Defunct, a remporté le Prix du Jeune Jury et du Public de la Compétition Internationale du Festival de Thessalonique et le Prix du Meilleur Film de KINENOVA IFF 2020. Il participe actuellement au Cinekid Script Lab, développant son premier roman, Nine lives left, en tant que long métrage d’animation. Depuis 2022, il est secrétaire général du conseil d’administration de l’Académie grecque du cinéma. Il a écrit le scénario de The Summer with Carmen avec l’écrivain, Xenofon Chalatsis, son meilleur ami. Le film a remporté le premier prix Agora Works In Progress de Thessalonique IFF 2022.

CE QU'EN DIT LA PRESSE

CULTUROPOING.COM

Ensoleillé, facétieux, queer en diable : Un été avec Carmen est le film idéal pour ouvrir la saison estivale… pour peu que l’on ne soit pas trop prude, car on y voit beaucoup de fesses !

 

L’OBS

Le cinéaste grec, ancien architecte (belle composition des cadres) et fan des premiers films d’Almodóvar, conjugue ici corps et verbe, sensualité débridée et mélancolie acide, avec une virtuosité sexy.

 

LA SEPTIÈME OBSESSION

Film dans le film, jouant des codes de la comédie solaire et du théâtre grec et débordant de sexualité torride, The Summer with Carmen est une fantaisie profonde.

 

LES FICHES DU CINÉMA

Zacharias Mavroeidis signe une métafiction joyeuse et érotique, grâce au pouvoir électrisant de son acteur, Yorgos Tsiantoulas.

 

LES INROCKUPTIBLES

Mais au-delà de ce jeu méta désinvolte, la fiction apparaît aussi comme un processus essentiel à la construction de soi, où se raconter permet d’éclairer son vécu pour en tirer des enseignements. En creux, Zacharias Mavroeidis propose alors un bel éloge de l’amitié.

 

OUEST FRANCE

Malgré cette présentation, aucune provocation dans cette histoire qui est avant tout une irrésistible comédie queer, dénuée de tout cliché.

 

TÉLÉRAMA

Une vision joyeuse et bigarrée de la vie gay par un jeune cinéaste non conformiste.

 

LE MONDE

Il y a beaucoup d’humour dans cette chronique douce-amère où sont évoqués le cinéma fauché, les clichés sur les films gay, les rêves de succès. Travaillant le style « feuilleton » au second degré, Zacharias Mavroeidis raconte la force d’une amitié entre deux homos, sans sortir l’artillerie des émotions.

 

LIBÉRATION

Il cherche à nous serrer le cœur en nous mettant à la place de l’ami négligé, dans l’ombre – et pâtira un peu de n’en faire qu’un point de vue. Mais il y a Carmen, et la mer, et les corps qui brûlent d’un désir de film (plus que d’autre chose, au fond), alors pourquoi pas, après tout, l’été commence, et il commence là où le cinéma finit

 

PREMIÈRE

Une comédie de mœurs gay aussi fantaisiste qu’ensoleillée qui possède aussi l’originalité de développer une vraie histoire d’amitié entre deux homosexuels, en lieu et place des plans cœur ou plans cul habituellement mis en avant. Remarquablement interprété, ce premier long métrage réussit à faire entendre sa petite musique originale dans l’univers du cinéma queer.

 

aVoir-aLire.com

À la fois drôle et très stylisé, The Summer with Carmen est un conte joyeux et mélancolique sur un homme gay qui voudrait réinventer sa vie à travers l’écriture d’un film. Un long-métrage vivifiant et bourré de surprises.