La structure du film en quatre étés a-t-elle toujours été celle-ci ou est-elle venue avec le temps pour mieux raconter l’histoire ?
La structure du film est la première chose qui m’est venue en tête. Il y a quelques années, je parlais avec ma sœur et nous nous remémorions les étés passés avec mon père. Il s’agissait pour nous d’essayer de se rafraîchir la mémoire et de mieux comprendre. Cela m’a marqué parce que j’ai trouvé que c’était une manière intéressante d’examiner une vie c’est-à-dire de voir ce père à travers les yeux de ses filles, par étapes, sans savoir ce qu’il s’est passé entre-temps. C’est finalement assez proche de la réalité car, souvent, nous ne parlions pas du tout à mon père pendant les laps de temps où nous ne le voyions pas. La structure était donc presque la partie la plus facile à imaginer. Concevoir tout le reste, dans cette structure, s’est avéré plus difficile.
Le point de vue du film change d’été en été et parfois même d’une scène à l’autre. Comment avez-vous réussi à déterminer à qui appartenait cette histoire tout au long du film ?
C’est quelque chose que j’ai remis en question à chaque étape de création du film. Centrer le point de vue sur le père au tout début permet aux spectateurs de ressentir son anxiété. Puis, nous passons à celui des filles, lorsque Vicente (René “Residente” Pérez Joglar) les prend dans ses bras, ce changement étant pour moi très important. Les étés suivants, la perspective est légèrement différente : nous commençons avec Violeta (Lío Mehiel, Kimaya Thais Limon, Dreya Castillo), puis nous intègrons celle d’Eva (Sasha Calle, Allison Salinas, Luciana Quiñonez), jusqu’au troisième été, entièrement raconté depuis son point de vue. Le dernier été est un mix de celui des deux filles.
En centrant au début le film sur le point de vue de Violeta, cela permet de voir le père sous un angle spécifique c’est-à-dire comme étant un peu dangereux et prenant des décisions hasardeuses parce qu’à ce moment précis Eva, elle, profite du chaos. Elle symbolise l’espoir, et quand cet espoir s’amenuise petit à petit, ce que le père vit est raconté par son point de vue.
René “Residente” Pérez Joglar joue le rôle du père, Vicente, ce qui en fait son premier rôle au cinéma. Qu’est-ce qui vous a convaincue de lui confier un rôle aussi important ?
J’ai tout de suite été convaincue. Il ne m’était jamais venu à l’esprit qu’il pouvait être acteur, même si j’ai grandi avec sa musique et que mes sœurs sont des grandes fans de lui. J’avais en fait vu pas mal d’acteurs mais aucun ne me satisfaisait jusqu’à ce que l’un des principaux producteurs du film, Alex Dinalaris, me parle de René. Il avait toutes les qualités pour jouer ce rôle : il est le stéréotype de l’homme latino, macho, avec ses tatouages jusqu’à ce que nous écoutions sa musique ou apprennions à le connaître. Il est extrêmement sensible et c’est exactement ce que je voulais essayer de capturer dans ce personnage.
Le film, basé sur votre vie, n’est pas pour autant une autobiographie. Dans quelle mesure avez-vous laissé de la liberté aux acteurs dans la création de leur personnage ?
Pour moi, il s’agissait toujours et avant tout du personnage et de la compréhension par les acteurs de ce personnage, même si ce n’était pas basé sur quelque chose d’autobiographique. Par exemple, lorsque l’actrice qui joue Violeta enfant (Dreya Castillo) est arrivée sur le tournage, elle avait les cheveux très longs et elle a été amené à les couper dans une scène du film. Elle a fini par découvrir que ça n’était en fait jamais arrivé dans la réalité. C’était assez drôle mais je lui ai répondu que justement ce n’était pas à propos de moi, que c’était à propos du personnage. Qu’est-ce que symbolise pour Violeta le fait de se couper les cheveux ? Elle se sent davantage elle-même et ça lui donne confiance et pouvoir.
Avez-vous pu tourner dans l’ordre chronologique du récit ?
Nous avons essayé de donner à René le plus de scènes possibles avec les jeunes actrices au début du tournage mais à cause des contraintes budgétaires et de temps qu’impliquent le fait de tourner avec des mineurs, ça a été compliqué.
Nous avons tout de même essayé de faire la majeure partie du travail avec les plus jeunes au début et les plus âgés à la fin, mais il nous est souvent arrivé de tourner les quatre étés le même jour. Nous faisions sans cesse des allers-retours parce que nous devions tenir compte de la logistique du tournage dans la maison comme il fallait beaucoup de temps pour la transformer d’un été à un autre. Cela a beaucoup dicté la façon dont nous avons dû organiser le tournage.
Était-il aisé de lier les performances des acteurs aux personnages individuels qu’ils incarnaient alors qu’ils étaient tous présents sur le plateau ?
En général et comme la maison était petite, nous ne pouvions pas avoir tout le monde sur le plateau donc généralement ceux qui étaient présents étaient ceux qui avaient une scène à tourner. Cependant, si nous tournions une scène très émouvante, j’invitais Lio (Mehiel), qui joue Violeta adulte, sur le plateau pour qu’il puisse s’imprégner de ce souvenir. J’ai également demandé à tous les acteurs d’entrer dans la maison, seuls, à différents moments. Il était important qu’ils puissent s’imprégner de l’espace de sorte que lorsqu’ils tournaient une scène dans cette même pièce plus tard et que la maison avait changé, ils puissent se souvenir de la façon dont elle a changé et de ce qu’ils auraient pu ressentir à l’époque où ils étaient plus jeunes.
Il s’agissait davantage d’essayer de faire cela plutôt que de les réunir et de les faire interagir. Je voulais aussi qu’ils ne s’imitent pas les uns et les autres pour éviter l’inauthenticité. Je souhaitais qu’ils ressentent les émotions plutôt que d’essayer de les incarner.
Les acteurs du film ont affirmé à plusieurs reprises que vous avez passé beaucoup de temps avec eux sur le plateau. Était-ce un exercice d’équilibre délicat alors même qu’il s’agit de votre premier long-métrage ?
Je pense que c’est dû à mon inexpérience et au fait que je ne savais pas ce que j’étais censé faire. Je faisais juste ce que je ressentais comme étant nécessaire [rires]. Certains de mes producteurs ne comprenaient pas ma manière de tourner et ils me disaient que je faisais trop de prises.
Je viens du monde du montage donc parfois je voulais continuer à tourner parce que j’attendais la prise parfaite. Et il est très important que les acteurs aient également confiance en eux, donc dès que possible, je voulais leur donner du temps. Je pense qu’il faut du temps pour créer de l’art et pour le ressentir. Pour cela, il faut parfois faire beaucoup de prises, dans la limite de ce qui est permis par le budget et le planning. C’est pourquoi il faut des producteurs. Cette tension peut être très grande et j’essayais de ne pas trop m’en soucier et de simplement obtenir ce dont j’avais besoin. Il faut réussir à bloquer une partie du stress pour ne pas le transmettre aux acteurs. J’avais sûrement l’air un peu trop sérieuse sur le plateau mais je voulais juste restée concentrer et être disponible pour les acteurs.