Fiction / Indonésie, France, Singapour, Pologne, Philippines, Allemagne, Qatar

LE PION DU GÉNÉRAL

Le jeune Rakib travaille comme seul employé de Purna, un général à la retraite, aussi craint que respecté, et dont la famille est servie par celle de Rakib depuis des générations. Lorsque Purna se présente aux élections de la mairie locale, Rakib découvre un mentor et un père de substitution qu’il défendra à tout prix, jusqu’à ce qu’il soit déchiré entre la loyauté et la justice…

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2022

Makbul MUBARAK

Makbul MUBARAK

Kevin ARDILOVA, Arswendy BENING SWARA

1h55 – Couleur – Dolby Digital 5.1

21 février 2024

NOTE D'INTENTION DU RÉALISATEUR

Pendant les trois décennies de la dictature militaire indonésienne, du milieu des années 60 à la fin des années 90, mon père a travaillé comme fonctionnaire sous le régime. J’ai grandi en l’observant faire preuve de loyauté envers l’État, comme quelque chose qui semblait inhérent à la vie de ma famille. J’ai appris, en l’observant, que la loyauté est ce qui rend une personne honorable : un principe que je considérais comme très vrai et, à ce moment-là, satisfaisant et gratifiant. Cependant, en grandissant, une question a commencé à me hanter : la loyauté est-elle encore honorable si et quand elle est vouée à quelque chose de monstrueux ? Si nous ne sommes plus loyaux, cela sera-t-il considéré comme une trahison ? Ou un combat pour la justice ? Et par conséquent, cela ferait-il de nous une bonne ou une mauvaise personne ?

Le pion du général est une quête émotionnelle sur mon adolescence, mon pays et les valeurs avec lesquelles j’ai été élevé et qui sont encore enseignées partout aujourd’hui, 24 ans après la chute de la dictature. Dans une société à l’histoire si réprimée, que faut-il pour pouvoir se dire qu’on est « quelqu’un de bien » ?

À PROPOS DU RÉALISATEUR

Né en 1990 à Tolitoli (Indonésie), Makbul Mubarak est diplômé de l’université des arts de Corée. Il commence sa carrière comme critique de cinéma puis passe à la réalisation en 2016. Il enseigne depuis 2014 à l’université indonésienne de Nusantara.

Ancien élève de la Berlinale talents et de l’Asian Film Academy, ses courts métrages ont été largement diffusés et récompensés. LE PION DU GÉNÉRAL est son premier long métrage et le candidat officiel pour représenter l’Indonésie aux Oscars 2024.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Comment le travail de votre père dans la fonction publique a-t-il contribué au projet?

 

Les membres de ma famille sont tous fonctionnaires, y compris mon oncle et mes tantes. Nous sommes une grande famille d’employés du gouvernement. Tout a commencé vers 1974… c’était l’apogée de la dictature militaire en Indonésie. Je suis né en 1990 dans ce genre de famille. Tout me semblait donc normal dans mon enfance… La valeur dominante de l’État est également devenue la valeur dominante dans notre famille, parce qu’elle travaillait pour l’État. Je ne pouvais pas faire la différence. C’est ce qui s’est passé jusqu’en 1998, lorsque la dictature a été dissoute.

 

Votre adolescence a donc été très différente après la fin de la dictature?

 

Exactement. C’est donc là que la confusion a commencé. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à me dire : « D’accord, nous devons remettre en question cette dictature », mais j’ai été élevé dans cet environnement. Alors, comment dois-je aborder la question ? Les adolescents… nous sommes tous à la recherche de quelque chose. Et la réponse immédiate à l’époque était la religion. Lorsque la politique échoue, je pense que dans de nombreux endroits dans le monde, la religion prend le relais et vous donne la réponse. Ma famille m’a envoyé dans un pensionnat pour apprendre la religion islamique. Mais cela n’a pas résolu la question pour moi. Plus tard, j’ai étudié la politique et j’ai appris que les gens qui travaillaient pour le dictateur sont toujours au pouvoir aujourd’hui. Nous sommes gouvernés par les mêmes personnes, avec presque les mêmes valeurs. C’est la raison pour laquelle j’ai écrit ce film. Parce que j’ai toujours l’impression que nous vivons toujours dans l’ombre. C’est une grande ombre. Ce n’est pas vraiment le passé, c’est le présent. C’est l’esprit du pays.

 

Le thème de la loyauté est très présent dans l’histoire. Était-ce un point de départ, comme quelque chose que vous vouliez explorer?

 

Je pense que la loyauté est importante. Comme il s’agit d’un contexte indonésien, c’est le résultat de l’ignorance.Je dirais que les jeunes sont ignorants du passé. C’est pas enseigné à l’école. C’est donc une histoire qui est réprimée. À l’école, cette période de 32 ans…on ne vous l’enseigne pas. Il n’est donc pas étonnant que la jeune génération soit de plus en plus ignorante du passé. Beaucoup de jeunes sont très conservateurs en Indonésie. Ils veulent que l’Indonésie redevienne une grande nation ! Ils veulent y retourner parce qu’elle était beaucoup plus stable dans le passé. Aujourd’hui, la situation est très incertaine. Je pense donc que cette loyauté est dangereuse,car elle est le résultat de l’ignorance. C’est pourquoi, dans le film, la loyauté est toujours remise en question. Elle n’est pas louée. Elle est toujours remise en question parce que la loyauté semble honorable. Mais d’où vient-elle? Et quel est le résultat que l’on peut tirer de cette loyauté? C’est donc devenu peu à peu le point zéro de la thématique du film.

Son propre père étant en prison, Rakib considère le général comme un père de substitution. Pouvez-vous parler de la notion de figure paternelle dans le film?

Vous savez, la dictature indonésienne fonctionne de manière très freudienne. Elle est centrée sur le dictateur en tant que figure paternelle du pays. Nous avons même un terme en Indonésie, le « Bapakisme »,qui se traduit littéralement en français par le « paternalisme ». Cela devient donc une idéologie ; les choses gravitaient autour de cette figure paternelle. Nous avions l’habitude d’appeler le dictateur Soeharto le père du développement. C’est ainsi que nous l’appelions. C’était écrit ainsi sur l’un des billets de banque de l’époque.Il s’est donc toujours présenté comme un père,et nous devons être loyaux envers le père.Je veux dire par là que j’ai l’impression d’être en Corée du Nord ! Ce n’est pas aussi extrême. Mais il y a cette aura du président en tant que figure paternelle. Tout le monde cherchait donc à la louer ou se rebeller contre elle en cherchant d’autres figures paternelles.Avec un peu de chance, cela vous aidera à grandir en tant que personne.Et c’est que Rakib recherche, ,parce qu’il a déjà l’impression que son vrai père a échoué en prison, pour tout ce qu’il a fait.

 

Le film est empreint d’une atmosphère de violence. Quelle a été votre approche pour la montrer à l’écran?

 

La violence revêt différentes formes. Ce n’est pas que la violence physique. Mais dans le film,je veux présenter la violence comme un état d’esprit. Il y a plusieurs niveaux de violence. Nous introduisons la violence par le café! Le général dit: « Qui a dit que je buvais du café?Assieds-toi! ». C’est la première forme de violence dans le film. Pour moi, c’est très violent. Et cela n’implique aucun contact physique. C’est juste une conversation.C’est donc ce que je m’efforce de faire dans le film:montrer autant de formes de violence que possible au public .Et bien sûr, cela culmine dans la violence réelle qui éclate dans le climax du film. Par exemple, je n’ai volontairement pas montré le général en train de battre le lycéen. Pour moi, l’effet sur Rakib est beaucoup plus important.

 

Quelles conversations avez-vous eues avec votre directeur de la photographie, Wojciech Staron, pour exprimer visuellement les thèmes du film ?

 

La première chose dont nous avons parlé, c’est qu’il s’agit d’un film sur les miroirs. Il s’agit de deux personnages qui se reflètent l’un l’autre. Dans le film, nous avons utilisé beaucoup de verre et de miroirs, pour créer cette réfraction de la lumière. L’espace est également très important,car dans le film,l’espace est toujours une question de pouvoir.Il s’agit toujours de savoir qui contrôle et qui est contrôlé, et par quelle forme de violence. J’ai donc toujours dit aux acteurs : « Maintenant, vous êtes le prédateur, maintenant vous êtes la proie, jouez ce rôle ». Nous jouons donc un rôle, vous êtes le tigre et l’autre est le mouton.Il y a donc toujours cette dynamique. Et, mon directeur de photographie a cherché avant tout filmer la tête de Rakib, à voir les choses telles qu’elles sont dans son esprit. C’est à partir de là que nous avons créé l’ambiance.

 

Comment avez-vous procédé pour trouver l’acteur qui devait incarner Rakib? 

 

Pour Rakib, je n’ai pas fait de casting ouvert parce que je voulais connaître l’histoire de la vie de l’acteur, et m’inspirer de sa vie. Je cherchais une personne intéressante, pas seulement un acteur capable d’interpréter le personnage le plus fidèlement possible. Ainsi, pour Kevin [Ardilova]… Je lui ai parlé non pas du scénario,mais de sa situation. Il est la principale source de revenus de sa famille. Son père et sa mère ont divorcé et Il doit maintenant s’occuper de ses deux frères et sœurs, ainsi que de sa mère. Il a ce fardeau. À seulement 21 ans,il doit penser à beaucoup de choses : l’appartement, les frais de scolarité, tout. Je me suis donc dit que je pouvais m’en inspirer! C’est ainsi que beaucoup de choses que j’ai apprises de Kevin ont été intégrées plus tard dans le scénario. J’ai modifié mon récit en me basant aussi sur l’histoire de sa vie. C’est donc un point de rencontre pour nous trois – moi, Rakib le personnage et Kevin.

 

Cela a-t-il été une expérience très différente de passer de passer de la réalisation de courts métrages à celle d’un long métrage?

 

Oui, c’est une expérience plus agréable. J’ai d’abord écrit LE PION DU GÉNÉRAL comme un court métrage. À l’époque, je me disais :  » Un long métrage,c’est encore trop loin,je commence tout juste ». Mais lorsque j’ai atteint la scène 70, je me suis dit : « Ce n’est plus un court métrage! Depuis, je ne dis pas que les courts métrages ne m’intéressent plus, mais je préfère les longs métrages. Peut-être parce que je suis devenu scénariste. J’ai commencé comme critique de cinéma et j’ai écrit pour d’autres réalisateurs. J’aime donc la structure. J’aime le développement des personnages. Et dans les courts métrages, on n’a parfois pas vraiment le temps de développer son personnage de multiples façons, parce qu’on ne dispose que de quinze minutes. Réaliser des longs-métrages procure beaucoup plus de plaisir sur le plan créatif.

 

Entretien recueilli par James MOTTRAM

LISTE TECHNIQUE

Scénario & réalisation : Makbul Mubarak
Photographie : Wojciech Staroñ PSC
Décors : Sigit D.Pratama
Montage : Carlo Francisco Manatad
Musique : Bani Haykal
Son : L.H.Aim Adinegara, Waldir Xavier, Rémi Crouzet, Jean-Guy Veran
Co-producteurs : Louise Bellicaud, Claire Charles-Gervais, Jeremy Chua, Malgorzata Staroñ, Armi Rae Cacanindin, Nicole Gerhards, Amerta Kusuma, Robin Moran, Pinkan Veronique, Arya Sweta Ganesya
Production : Yulia Evina Bhara

CE QU'EN PENSE LA PRESSE

LA SEPTIÈME OBSESSION

Au fil d’une esthétique sombre, hantée, le film interroge, au travers de la relation entre le jeune Rakib et son mentor, le général Purna, les noeuds du pouvoir, de la soumission, du conflit entre fidélité aux maîtres et conscience politico-éthique.

 

LES INROCKUPTIBLES

Makbul Mubarak, dont Le Pion du roi est le premier long métrage prometteur, sait parfaitement créer un climat angoissant, asphyxiant, notamment en réduisant la taille de l’image à l’aide de miroirs, de premiers plans flous qui dissimulent partiellement les arrière-plans nets, comme si tout était regardé à travers un judas.

 

PREMIÈRE

En capturant la lumière naturelle dans de longs jeux de reflets et d’angles de caméra, ce premier long traite de la tragédie qui plane sur ses personnages à travers les rapports de force socio-politiques et le pouvoir de séduction qu’ils entrainent. La révélation d’un cinéaste.

 

CAHIERS DU CINÉMA

À l’image, un damier de reflets, d’écrans, de surcadrages habiles annonce l’imminence du coup décisif : échec et mat pour la vertu de Rakib ou pour son criminel de mentor ? Entre les fous armés, la fenêtre de tir est limitée, mais le cinéaste tranche pour sa génération.

 

LA CROIX

Un premier film fort et glaçant.