Fiction / Nigeria

TOUTES LES COULEURS DU MONDE

Bambino s’est installé dans sa vie de célibataire. Il a un revenu stable grâce à son emploi de chauffeur-livreur à Lagos, et il est apprécié par son voisinage qu’il aide dès qu’il le peut. Alors que les avances de sa voisine Ifeyinwa le laissent froid, Bambino rencontre le charismatique Bawa, un photographe, qui semble provoquer quelque chose en lui…

ANNÉE
RÉALISATION
SCENARIO
AVEC
FICHE TECHNIQUE
DATE DE SORTIE

2023

Babatunde APALOWO

Babatunde APALOWO

Tope TEDELA, Riyo DAVI, Martha EHINOME ORHIER

1h32 – Couleur – Dolby Digital 5.1

8 mai 2024

BIOGRAPHIE DU RÉALISATEUR

Babatunde Apalowo est metteur en scène et scénariste du cinéma basé au Royaume Uni. Il a gagné le prix Homevide (sponsorisé pars les Nations Unis), et son court métrage “A Place of Happiness” avait été sélectionné dans plusieurs festivals de courts- métrages. En 2022, il a gagné le prix du meilleur montage au AMVCA, et est nommé pour son scénario au African Movie Academy Awards. Son premier long métrage est “Toutes les couleurs du monde”.

ENTRETIEN AVEC LE RÉALISATEUR

Qu’est-ce qui vous a inspiré pour créer Toutes les couleurs du monde et qu’est-ce que ce film signifie pour vous personnellement ?

 

Toutes les couleurs du monde était, au départ, une lettre d’amour à la ville de Lagos. Mais suite à cette agression homophobe qui s’est déroulée devant moi, face à laquelle je me suis senti impuissant, la film a pris une autre tournure : raconter le parcours de Bambino, un outsider qui questionne son identité tout en se réconciliant avec son passé. Ce film est profondément personnel. Mon approche était de me concentrer sur l’authenticité émotionnelle, en racontant une histoire d’amour réaliste et universelle dans sa thématique. Je suis réellement fier du travail accompli et j’espère qu’il sera percutant pour les spectateurs. Je crois que ce film a le pouvoir d’inspirer l’empathie et la bienveillance , de réduire l’écart entre cultures, communautés, et individus.

 

Comment la ville de Lagos à-t-elle influencé le film?

 

L’esprit de Lagos a joué un rôle crucial dans Toutes les couleurs du monde. Non seulement elle est en arrière-plan, mais elle devient aussi un personnage à part entière, en influençant les expériences et les choix de Bambino et Bawa. L’énergie palpitante de la ville a contribué à l’atmosphère du film, elle sert de métaphore pour les épreuves et les obstacles que les personnages affrontent dans leur relation. Lagos est une ville pleine de vie, mais elle peut aussi être dangereuse et imprévisible. Sa beauté et son chaos sont au coeur du film. Ce dernier n’aurait pas pu exister sans cette ville qui apporte de la profondeur et de la complexité en arrière plan tout en étant un moteur.

 

Quel sont les défis auquel vous avez été confronté pendant le tournage?

 

Un des plus grands défis c’était de trouver le bon casting. Comme le film traite de thèmes sensibles et controversés, c’était un challenge de trouver les bons acteurs et l’équipe technique qui pourrait être dévouée au projet et qui comprendrait la vision du film. Beaucoup d’acteurs masculins au Nigeria ont refusé ces rôles de peur de nuire à leurs carrières. Néanmoins, nous avons relevé ces défis, Et nous avons réussi à rassembler une équipe passionnée et talentueuse. Un autre enjeu était de confronter les normes de la société Nigériane à la question des droits LGBTQI+. Bien que nous étions déterminés à raconter cette histoire d’amour, on devait aussi considérer les risques potentiels. De plus, nous avons affronté des difficultés inattendues pendant le tournage à Lagos, comme les bruits de la ville et les interférences de l’environnement. Néanmoins, nous avons pu incorporer ces éléments à l’esthétique du film. Il y avait aussi des moments où nous avions été arrêté par la police, ou attaqués par un homme instable —tout ça ajoutais des difficultés au tournage. Donner vie au film était une expérience compliquée mais enrichissante.

 

Dans le film il y a un focus sur les visages des trois personnages principaux alors que ceux des personnages secondaires sont cachés. Y-a- t-il une raison pour cela?

 

Oui, il y a une raison pour ce choix formel. On focalise sur les trois personnages principaux et leurs expériences, alors je voulais souligner leurs visages et leurs émotions. Cela crée une intimité et une connexion avec le public ; tout en leur permettant de mieux comprendre leurs épreuves et ressentir leurs émotions. Les personnages secondaires, par contre, représentent des figures plus abstraites et symboliques, alors on a choisi de cacher leurs visages. Éliminer les autres visages n’est pas une façon d’éliminer leurs identités. mais une façon de montrer comment Bambino voit le monde et son environnement immédiat. Non seulement cela contribue à l’esthétique du film mais cela symbolise aussi l’isolement et la solitude ressentie par les personnages principaux, et représente les contraintes sociales qui leur sont imposées. En choisissant de différencier la façon de montrer les visages dans le film, j’espère mettre en valeur les thèmes de l’identité et de l’appartenance qui sont au centre de l’histoire.

 

Quel impact sur la société souhaitez-vous avoir avec ce film?

 

En s’attaquant aux thèmes d’identité, d’appartenance, et d’amour, il peut inspirer les gens à réfléchir plus profondément et défier les attentes et les normes de la société, qui peuvent limiter notre compréhension et notre empathie envers les autres, les personnes différentes. En fin de compte, je crois que ce film a le pouvoir d’inspirer le progrès social et de contribuer à une société plus inclusive et compréhensive. En tant que cinéaste, mon plus grand souhait c’est que ce film ait un impact sur son public et inspire un changement positif dans le monde.

 

Le film est visuellement élégant et ambitieux formellement. Quel était l’idée derrière?

 

Le style visuel du film était très important pour la narration, et nous avions une approche très expérimentale. Nous avions voulu créée une esthétique unique et mémorable qui aiderait à immerger les spectateurs dans l’univers du film et qui mettrait en valeur les thèmes et les émotions de l’histoire. Nous avons aussi décidé de la raconter d’une manière aussi subjective que possible, caméra sur pied, à hauteur d’être humain. Cette approche aide à créer un aspect réaliste, comme si on regardait le film se passer en temps réel. L’aspect formaliste est supposé montrer l’envie et le désir que ressentent les personnages principaux, et aussi les contraintes sociétales contre lesquelles ils luttent. Dans l’ensemble, le style était essentiel à notre vision créative pour ce film, et nous espérons qu’il est marquant et significatif pour le public.

NOTE D'INTENTION DU RÉALISATEUR

Au départ l’histoire parlait d’un coursier qui tombait amoureux de sa ville, Lagos et prenait des photos iconiques pour re-capturer les souvenirs perdus de ses parents décédés. Mais cette histoire avait pris un virage tragique après que j’ai été témoin d’un événement parmi les plus perturbants de ma vie. J’ai vu un homme se faire lyncher à mort en raison de son orientation sexuelle. Cela m’a profondément choqué et un voile d’ignorance est tombé de mes yeux. Je commençais à voir plus loin que ma première déclaration d’amour prétentieuse à ma ville, Lagos. Je me suis rendu compte à quel point Lagos pouvait être dangereuse pour les gens différents, les “autres”. On peut y perdre sa vie juste en prenant le mauvais tournant ou en s’habillant de façon un peu excentrique. Alors, ce qui a commencé sous forme de lettre d’amour à Lagos est devenu une analyse de ceux et celles que la ville rejette. Le film parle autant de ces personnages que de Lagos. Prendre la décision de faire ce film n’était pas facile. Une histoire d’amour gay dans un pays comme le Nigeria, où l’homosexualité est pénalisée par des peines de prison. Cependant, le plus dur à surmonter n’était pas la peur d’être condamné mais mes doutes en ma capacité, en tant qu’homme hétérosexuel, de raconter cette histoire. J’avais peur de ne pas parvenir à capturer les expériences des personnages et que je fasse une sorte de caricature de leurs vies, sans le vouloir. J’ai néanmoins trouvé le courage de raconter cette histoire quand je me suis dit que, après tout, l’amour est universel. Je pouvais m’identifier aux expériences des trois personnages principaux car j’ai eu des expériences similaires. J’ai déjà aimé quelqu’un avec qui je ne pouvais avoir de relation, et qui a rejeté mes avances. C’est ce point de vue que j’ai voulu utiliser pour le film. J’ai évité tout stéréotype et essayé de raconter une histoire d’amour simple entre deux personnes. Leurs identités sexuelles n’étaient pas le “POURQUOI” mais le “MAIS” dans le chemin de leurs vies. Alors je suis devenu un bon élève et j’ai demandé à des ami·e·s qui ont des parcours proches de ceux des personnages et de me les partager. Cette approche m’a aidé dans d’autres aspects du film. J’ai tenté de capter Lagos telle qu’elle est, vu par ses habitants, sans mouvements de caméra spectaculaires ou de plans de drones… J’ai poussé cette idée encore plus loin en utilisant seulement des cadrages fixes, ce qui reflète la rigidité du personnage principal, Bambino, et qui nous force à observer Lagos différemment. Mon intention n’était pas d’apprivoiser Lagos, mais de la présenter d’une façon encore jamais vue. Une autre idée que j’ai eue pour approfondir cette approche est ce que j’appelle “Lagos, la ville sans visage”. C’est simple comme idée : on ne peut pas marcher vingt mètres au Lagos sans rentrer dans quelqu’un, ni sans voir un océan de visages autour de soi ; alors je me suis focalisé sur les trois visages des personnages du film. Reconnaître un visage est vital dans nos interactions sociales, c’est dû aux valeurs émotionnelles qu’on assigne aux visages. Aussi, j’espère que ça forcera les gens à voir les visages des personnages principaux dans des moments pris au vif, comme l’essentiel du film est filmé en plan large.

LISTE TECHNIQUE

Images David Wyte

Montage Babatunde Apalowo

Musique Richard Kett, Catherine Shrubshall

Production Polymath Pictures

LISTE ARTISTIQUE

Tope Tedela Bambino

Riyo David Bawa

Martha Ehinome Orhiere Ifeyinwa

CE QU'EN PENSE LA PRESSE

CULTUROPOING.COM

Politique, poétique et profondément cinématographique, Toutes les couleurs du monde oppose au regard inquisiteur d’une société celui d’un photographe – double évident du metteur en scène – sondant le réel sans jugement, afin d’offrir au monde une véritable ode à l’amour de soi… et des autres.

 

L’OBS

Cadres posés, composés et serrés, la réalisation du nigérian Babatunde Apalowo complice, exigeante et pertinente est le point fort cette histoire de déni de soi. Belle découverte.

 

aVoir-aLire.com

Un long métrage courageux sur l’homosexualité au Nigeria, avec des accents de romanesque qui donnent au film une tonalité sirkienne.

 

LE MONDE

Seuls ces trois visages apparaissent à l’écran, comme si le réalisateur cherchait uniquement dans leurs regards toutes les nuances d’un désir libre. Les autres restent hors champ ou figurent des anonymes, dans une ville plutôt hostile