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TOXIC

Fiction / Lituanie

Rêvant d’échapper à la morosité de leur quartier, Marija et Kristina, 13 ans, se rencontrent dans une école de mannequinat locale. Les promesses d’une vie meilleure malgré la concurrence ardue, les poussent à brutaliser leur corps, à tout prix. L’amitié des deux adolescentes leur permettra-t-elle de s’en sortir indemnes ?

Année

2024

RÉALISATION

Saulė BLIUVAITÉ

SCENARIO

Saulė BLIUVAITÉ

AVEC

Vesta MATULYTÉ, Ieva RUPEIKAITE, Egle GABRENAITE

FICHE TECHNIQUE

1h39 - Couleur - Dolby Digital 5.1

DATE DE SORTIE

16 Avril 2025

HORAIRES DU 23 AU 29 AVRIL 2025

TOUS LES JOURS : 15h10 (sauf Dimanche et Lundi), 18h40


DIM 27 : 22h05

HORAIRES DU 30 AVRIL AU 6 MAI 2025

TOUS LES JOURS : 18h25

ENTRETIEN AVEC LA RÉALISATRICE

Toxic est votre premier long-métrage et vous vous êtes inspirée d’éléments autobiographiques. Quelle était la genèse de ce film ?

 

C’est toujours très difficile d’identifier les points de départ d’un film. Pour ce projet, je voulais d’abord regarder des personnages de cet âge car ils sont toujours représentés de manière très différente au cinéma. C’est un âge intéressant car ces filles se situent quelque part entre l’enfance et l’adolescence. D’un autre côté, je suis passionnée par le corps humain et notamment celui des filles et des femmes. À 13 ans, entre ces deux âges, selon comment tu te regardes, il y a des choses qui sont projetées sur ton corps. Par exemple, une jeune fille plus grande peut donner une impression plus féminine… J’ai commencé à écrire le scénario avec toutes ces réflexions en tête. Puis, j’ai repensé à mes 13 ans et j’avais cette image en tête, de deux filles dans un paysage déserté et industriel comme si elles étaient « photoshopées » dans un environnement en contraste avec leurs vêtements et leurs aspirations. Je savais que je voulais faire un film sur ce lieu terne et gris en opposition avec la vie de ces deux filles.

 

Ces filles rêvent d’ailleurs et semblent bloquées dans ce lieu dont vous parlez. Quelle est l’importance pour vous de ce paysage post-industriel que vous filmez ?

 

Je suis née dans la zone industrielle d’une ville. En représentant ces paysages, il y a un sentiment d’être ramenée dans mon passé à ce moment de l’enfance où il faut accepter d’où l’on vient alors que l’on a des envies d’un ailleurs plus beau et glamour. Je pense toujours comme une adolescente, en créant d’abord par mon imagination et c’est pour cette raison que je fais des films. Je connaissais bien ces lieux et quand j’écrivais une scène je visualisais où ça allait se passer. Et c’est pour ça que le lieu est un personnage du film. J’ai utilisé le plan large pour lui donner son importance dans lequel les humains sont tout petits et ça permet d’y insérer des détails. comme si elles étaient « photoshopées » dans un environnement en contraste avec leurs vêtements et leurs aspirations. Je savais que je voulais faire un film sur ce lieu terne et gris en opposition avec la vie de ces deux filles.

 

Vous utilisez aussi beaucoup le plan fixe. Est-ce pour mieux symboliser cet enfermement ? Comment avez-vous pensé la photographie du film ?

 

Le plan fixe est une idée de mon chef opérateur Vytautas Katkus. J’étais plutôt méfiante concernant l’expérimentation, je voulais surtout suivre mes personnages. Quand j’ai commencé à travailler avec Vytautas, il m’a suggéré des angles différents où placer la caméra en allant plus loin que de simplement les filmer. Grâce à notre collaboration et à nos conversations, j’ai commencé à expérimenter différemment le positionnement de la caméra jusqu’à me libérer de cette manière plus conventionnelle où je filmais beaucoup les visages. En perdant un peu les acteurs, parfois les plans devenaient plus libres. Et c’est pour ça qu’il y a de l’action qui se joue en arrière-plan. En me libérant ainsi, j’ai pu mieux montrer ce paysage dont je parlais. 

 

D’ailleurs, par ces plans vous mélangez presque un réalisme quasi documentaire par moment avec des scènes presque horrifiques. Vous aviez des références cinématographiques en tête ?

 

C’est lié à ce que je disais précédemment sur le fait de vivre sa vie dans son imagination quand on est dans un endroit très ennuyeux et concret. J’ai pensé que ça allait vraiment s’adapter à ces scènes comme c’est l’histoire de personnages de 13 ans qui essayent de laisser leur enfance derrière. Et quand tu es enfant, tu es effrayé par des choses que tu ne connais pas. Je me souviens, enfant, je faisais des cauchemars terribles et j’avais peur des contes de fées et des symboles archaïques. On retrouve ces peurs intentionnellement dans le film. Mais je ne pourrais pas donner de références en particulier, seulement j’ai toujours aimé les films réalistes ou sociaux-réalistes mais qui peuvent faire un pas de côté et rompre avec la réalité. Je suis aussi influencée par la littérature et les histoires sur la folie en général, ce qui a pu évidemment impacter le film.

 

Vous parliez de votre attrait pour les corps. Ils sont au centre de votre film avec l’importance du regard que l’on porte sur son propre corps et celui des autres. Les deux héroïnes Marija et Kristina semblent bloquées dans leur corps et vont aller jusqu’à le maltraiter pour correspondre aux standards de l’école locale de mannequinat. Comment avez-vous travaillé ce rapport au corps avec vos deux jeunes actrices ?

 

Les personnages étaient écrits de cette manière. Tout le monde dans Toxic a une sorte de défaut physique. Maria boîte, Kristina a une image déformée d’elle-même et n’apprécie pas son corps. Il y a d’autres détails comme la fille géante, l’état des mains de la grand- mère… Je voulais décrire ce monde d’imperfections au dehors et ce monde de perfection qu’exige l’école de mannequinat. Et quand j’ai travaillé avec les actrices qui jouent Maria et Kristina, je me suis rendue compte à quel point elles étaient intelligentes et très conscientes des sujets que nous voulions aborder et de ce que nous leur demandions.

Elles sont plus matures que leur âge et comprenaient au-delà de ce que j’avais imaginé. Concernant le rapport au corps, il y a des scènes intenses qui étaient vraiment difficiles à réaliser, comme lorsque Kristina se fait percer la langue ou lorsqu’elle essaie de se faire vomir et quand j’ai casté les filles, j’avais peur de leur faire lire le scénario et de leur présenter ces scènes. On a donc d’abord rencontré les parents, tout le monde a lu le scénario, et j’ai pu parler de ces scènes et de leur importance pour moi dans le film. J’ai eu beaucoup de chance parce que les parents de ces filles ont aussi compris le message et leur nécessité. Les filles étaient nerveuses et effrayées, ce qui est normal, mais elles ont compris rapidement. Ce sont des scènes difficiles pour des comédiens professionnels et c’était la première fois qu’elles allaient être sur un plateau devant une caméra. Elles ont été très courageuses.

 

Vous avez le sentiment que cette génération est plus consciente que la vôtre ?

 

Bien sûr ! C’était ma première pensée pendant la phase de casting. Le processus a duré très longtemps. Quand j’ai commencé à rencontrer des jeunes filles, on parlait ensemble du scénario, de l’histoire et des thèmes du film. C’était presque plus une étude sur la vie des jeunes qu’un vrai casting. Et ça m’a beaucoup aidé car quand j’ai commencé à écrire le scénario, je suis principalement partie de mes expériences ou de celles de filles de mon âge que je connais. Pendant le casting, j’ai écouté les retours des jeunes et j’ai réalisé qu’ils étaient beaucoup plus ouverts à parler de certaines choses. À leur place j’aurais eu peur d’entrer dans ce genre de casting et j’aurai été effrayée de parler de choses psychologiquement lourdes alors que les filles partageaient beaucoup de choses intimes sur leur vie. Je leur en suis vraiment reconnaissante car elles ont même pu mettre des mots sur des traumatismes. Les réseaux sociaux ont permis un discours avec un certain vocabulaire pour communiquer plus facilement. Et en même temps quand elles parlaient de ce qui les fait souffrir, je me suis rendue compte que les souffrances sont les mêmes. Rien ne change, on se bat toujours avec son image quand on est une jeune fille. Ce qui est beau c’est que Maria et Kristina s’élèvent ensemble grâce à leur sororité comme des âmes sœurs.

 

Comment avez-vous développé leur relation dans le scénario puis sur le plateau avec les actrices ?

 

La préparation du film fut longue et cette temporalité a vraiment aidé. On a fait des ateliers de jeux et des improvisations de scènes qui ne sont pas dans le scénario. Après quelques rencontres, je me suis rendue compte qu’elles voulaient vraiment ressentir et créer elles-mêmes. Je leur donnais des situations et comme indication de parler avec leurs mots et d’être elles-mêmes. Elles ont pris tellement de plaisir dans ces jeux d’improvisations qu’elles sont devenues amies. Quand nous avons préparé les scènes de défilé, les actrices se sont senties libres d’être elles-mêmes.

J’utilise ce style de direction de deux manières différentes : pour les scènes plus amusantes d’improvisation où elles sont mises à l’aise dans certaines situations et pour les scènes plus intenses ou violentes. Elles se détachent complètement en différenciant le personnage et leur personne réelle. Ces scènes étaient un peu comme faire des cascades en se disant que ce n’est pas soi que l’on met dans cette situation. 

 

Qu’est-ce que vous pouvez dire sur la toxicité qui donne son titre au film ?

 

Le titre original lithuanien est différent de ce titre anglais. Quand j’ai réalisé qu’il n’avait pas été traduit, j’ai pensé que Toxic s’adaptait parfaitement au film parce qu’on peut l’envisager de différentes manières : les standards de beauté toxiques, les relations toxiques, le paysage toxique, la masculinité toxique…Et je pensais à toutes ces toxicités auxquelles on est exposé quand on est jeune concernant les réseaux sociaux, les premières fois, les premiers baisers. Je pensais à la difficulté d’être une fille de cet âge quand tu dois constamment regarder derrière ton épaule à tous les coins de rue et être alerte selon avec qui tu es et où tu es. Et en même temps, parfois, à cause de la curiosité, tu peux quand même te retrouver dans les situations les plus toxiques. Le titre était parfait pour illustrer ça dans le film.

 

Pouvez-vous parler du travail particulier sur le son et la musique ?

 

J’ai toujours aimé faire le son d’un film. D’abord, j’ai travaillé avec un grand ingénieur du son lituanien qui a fait toute la conception sonore lui-même. Je tiens à le souligner car je me suis rendue compte que dans la plupart des cas, les films sont faits dans des studios où de nombreuses personnes travaillent dessus. Julius Grigelionis a passé des mois seul à travailler sur les dialogues et le son du film. Et j’ai passé une partie du temps avec lui à en rechercher certains. Avant le tournage, il a demandé à la production d’engager quelqu’un pour venir enregistrer des sons originaux sur le plateau.

Nous n’avons pas eu besoin d’avoir recours à une bibliothèque sonore. Tout était authentique. Et nous avons manipulé ceux-ci pour jouer avec les perceptions. Par exemple, il y a des scènes où on voit des gens à l’avant du plan et on entend des bruits de conversations en arrière-plan. Ça pourrait être vu comme une erreur mais c’était un autre moyen de se libérer des conventions et de ne pas coller à ce que l’on attend d’un film. On a beaucoup joué sur ces sons ainsi que d’autres plus spécifiques comme le tintement des boucles d’oreilles de Kristina ou certains sons plus métalliques et industriels. Pour la musique, ce fut assez long. Comme le film n’a pas été réalisé par une grande équipe technique, nous avons pu passer beaucoup de temps dessus.

Le compositeur, Gediminas Jakubka, a inséré dans un des thèmes du film des enregistrements d’une célèbre chanteuse pop lituanienne des années 2000 et ça collait parfaitement. Sa voix s’est finalement retrouvée dans presque tous les morceaux du film. Ça reliait ma nostalgie, celle du compositeur, la nostalgie du passé et l’obsession que cette génération a pour l’esthétique des années 2000. Je suis très heureuse d’avoir trouvé cette approche musicale.

BIO FILMOGRAPHIE DE LA RÉALISATRICE

Née en 1994, la réalisatrice et scénariste Saulė Bliuvaitė est diplômée du programme de réalisation de films de l’Académie lituanienne de musique et de théâtre en 2018. Son court-métrage Limousine (2021) a remporté le prix du Meilleur Court-Métrage Documentaire au Festival du film de Varsovie. Saulė est également co-scénariste et co-monteuse du drame historique Isaac, nommé pour le prix FIPRESCI aux European Film Awards 2020. Toxic est son premier long-métrage.

CE QU'EN DIT LA PRESSE

FRANCEINFO CULTURE

Le film travaille la plastique des corps, comme celle des décors, pour servir un propos fort sur cet âge de la vie, l’adolescence, sur ce qui s’y joue et sur ce qui s’y projette, à la fois de beau et de sordide, pour ces jeunes filles.

 

L’HUMANITÉ

Un premier film tendu et vivace, superbement mis en cadre par une réalisatrice à suivre.

 

L’OBS

Petit miracle, « Toxic » contourne ces écueils et résiste à la facilité de l’observation surplombante sans perdre son mordant.

 

LE MONDE

Aux corps contraints, aux gentilles filles dociles à qui l’on propose de sourire sagement devant l’objectif, Saule Bliuvaite préfère la danse, la tendresse, l’exultation, le feu, le rêve, la prise de risque, l’impolitesse, la déviance. Souhaitons-lui de garder longtemps, malgré la reconnaissance, ce goût de l’irrévérence.

 

LE PARISIEN

La réalisatrice, dont c’est le premier film, a privilégié, sans systématisme, des cadrages aussi somptueux qu’impossible, et des plans fixes conçus comme des tableaux : quel talent !

 

LES INROCKUPTIBLES

Sans trop sombrer dans un trash complaisant, la cinéaste parvient, notamment grâce à deux actrices fabuleuses, à paradoxalement signer un film assez solaire sur l’amitié, et s’impose comme une réalisatrice à suivre pour demain.

 

TÉLÉRAMA

Un premier film puissant.

 

PREMIÈRE

Mais hors de question pour la réalisatrice de succomber à un quelconque voyeurisme, puisqu’elle filme ses deux actrices de très loin, de très haut, et parfois même à peine dans le cadre. Une distance visuelle qui apporte sobriété et délicatesse au film, dont le sujet n’en demeure pas moins brutal.